
Récemment, j’ai organisé une soirée pour mes enfants ; je leur ai demandé d’inviter prioritairement les proches, cousins et cousines, avant de convier leurs propres amis. Et je me suis rendu compte que la liste « familiale » comptait déjà près de 150 personnes !
Une partie du problème vient sans doute du fait que les békés accordent trop d’importance à leur premier cercle. Par convention, il est prioritaire. Les familles étant nombreuses, ce cercle est composé de beaucoup de personnes à l’égard desquels les békés se font des obligations sociales : réception, mariages, etc. Et mécaniquement, les non békés se trouvent exclus du périmètre.
Pour ma part, étant d’un naturel timide, je n’aimais pas beaucoup ces soirées où il fallait se montrer à la fois extraverti et « normatif ». J’étais plus à l’aise dans les petites fêtes qu’organisaient mes amis du lycée, et où je me rendais en secret. Par ailleurs, il n’a jamais été question pour moi d’en organiser une, ma mère n’en ayant pas les moyens. Mais j’entendais beaucoup de mes amis békés se plaindre de la pesanteur sociale et familiale qui pesait sur eux. Certains se rebellaient d’ailleurs, et « tournaient » mal. Cette rigidité de la norme sociale a sans doute provoqué beaucoup de crises d’adolescence…

Pourtant, en dehors des plages d’étude, nous nous voyions assez peu : j’habitais en collocation dans le 15ème arrondissement, E. logeait à Nanterre. Je rencontrais beaucoup de jeunes métropolitains, tous plus « parisiens » les uns que les autres, férus de modes et de références culturelles contemporaines. J’avais en fait peu d’affinité avec eux. Je ne maîtrisais pas les bons codes, j’étais le « régional de l’étape » en complet décalage.
Heureusement, mes cousins n’étaient pas loin et je retrouvais auprès d’eux la chaleur familiale qui me manquait.
Les autres jeunes étudiants martiniquais, et en particulier les békés, étaient tous dans le même cas, et c’est naturellement que la plupart d’entre eux se rassemblaient le week-end cherchant ainsi à recomposer un noyau familial.
Parfois dans le métro, quand nous croisions des noirs, nous faisions exprès de parler créole, suffisamment fort pour être entendu. Nous espérions secrètement nous faire comprendre et déclencher une réaction. Nous étions à l'affût de tout ce qui était martiniquais. A Paris, nous avions un sentiment patriote aigu, et nous étions profondément solidaires de la Martinique et de tout ce qui s’y rattachait.
